Droit : Faire la preuve de la faute – Extrait du livre « Quel pouvoir disciplinaire pour l’employeur ? »

Principes généraux

L’article 9 du Code de procédure civile impose à chacune des parties de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. En matière disciplinaire, la notion de preuve revêt une complexité « particulière ». En effet, il est important de distinguer :

  • la preuve du fait fautif ;
  • la preuve de la connaissance du fait fautif par l’employeur dans les délais énoncés à l’article L1332-4 du Code du travail.

La preuve du fait fautif

En droit du travail, la charge de la preuve incombe exclusivement à l’employeur. Il est important de rappeler que la principale caractéristique du contrat de travail est que celui-ci s’exerce dans le cadre d’un lien de subordination. Ainsi la jurisprudence souligne que « la simple surveillance d’un salarié faite sur les lieux du travail par son supérieur hiérarchique, même en l’absence d’information préalable du salarié, ne constitue pas en soi un mode de preuve illicite » Une preuve qui, lorsqu’elle est insuffisante crée le doute et profite nécessairement au salarié, conformément aux dispositions de l’article L1235-2 du Code du travail. Comment alors procéder à l’établissement de cette preuve ?

De manière générale le principe de la preuve est libre, et offre à l’employeur de très nombreux moyens de l’établir, mais cela doit être fait de manière impérativement licite, loyale, proportionnelle et non-discriminatoire.

Licite

Respect d’un formalisme juridique

Un moyen de preuve est considéré comme licite, lorsque la mise en place de celui-ci nécessite le respect d’un formalisme juridique. La mise en place d’une vidéosurveillance des salariés se trouve être le bon exemple. En effet, l’employeur doit effectuer préalablement :

  • la consultation des institutions représentatives du personnel (CE et CHSCT) (Article L2323-32 du Code du travail) ;
  • l’enregistrement du moyen de contrôle auprès de la CNIL, et ne pas oublier de faire une information individuelle des salariés concernés par ce moyen de contrôle (Article L1222-4 du Code du travail). Le non-respect de l’une de ces dispositions rend le moyen de contrôle « illicite ».

Respect de la vie privée du salarié

Comme déjà évoqué (voir chapitre sur la définition d’un fait fautif), les faits commis par un salarié qui ne sont pas en relation avec son activité professionnelle ne peuvent pas être considérés comme fautifs. Dans ce chapitre, il s’agit de moyens contrôle qui quittent le seul champ d’action.

L’arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 2008 a indiqué que la preuve des griefs résultant du rapport d’un détective privé dont le salarié n’avait pas été averti de la présence, est illicite.

Il en est de même en ce qui concerne la violation de la correspondance privée du salarié dont l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 2 octobre 2001 fixe « que tout salarié a le droit, sur son lieu d’activité et pendant son temps de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée et notamment au secret des correspondances ». La cour d’appel de Rennes a, pour sa part, été plus loin en rappelant les critères qui fixent le caractère confidentiel des correspondances du salarié en estimant que ces dernières doivent avoir un contenu faisant allusion de manière évidente à la vie privée (santé, patrimoine, sexualité) de son auteur.

Ainsi, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié est considéré comme une atteinte à ses libertés fondamentales, mais dans la mesure où ce dernier s’est assuré que ses documents ou messages soient identifiés comme tel. Ainsi leur ouverture éventuelle par l’employeur nécessite la présence du salarié ou que celui-ci soit dûment appelé.

Enfin, de très nombreuses entreprises ont choisi de mettre en place une charte fixant les règles d’utilisation des systèmes d’information. Ce document annexé au règlement intérieur contient des dispositions pouvant restreindre le pouvoir de consultation de l’employeur « hors le cas où des documents ou messages sont identifiés comme personnels ».

Focus : Réseaux sociaux et vie privée

Les réseaux sociaux font partie intégrante de notre vie professionnelle. En 2014, on comptait dans le monde 1,4 milliard d’utilisateurs actifs sur Facebook dont 28 millions en France. Une croissance forte qui ne comptabilise pas les réseaux à vocation exclusivement professionnelle comme Viadeo (35 millions d’utilisateurs) et LinkedIn (100 millions d’utilisateurs). Ce sont ainsi des quantités impressionnantes d’informations qui transitent désormais par ces réseaux. La question posée est de savoir dans quelle mesure l’employeur est en droit de contrôler les informations qui y sont déposées par leurs salariés, y compris lorsque cela s’effectue dans un cadre privé.

Le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt a très nettement pris position en déboutant les salariés de la société Alten qui sur Facebook avaient tenu des propos qui ont été reconnus comme ayant un caractère « d’incitation à la rébellion contre la hiérarchie et de dénigrement envers la société », ayant entraîné la rupture du contrat de travail pour faute grave.

Les juges prud’homaux ont estimé que l’inscription de ces propos sur « un mur Facebook » ne pouvait aucunement être considérée comme une zone suffisamment « privative », considérant que « par le mode d’accès choisi, cette page était susceptible d’être lue par des personnes extérieures à l’entreprise, nuisant à son image ».

Le 10 avril 2013 la Cour de cassation a, elle aussi, pris position en ayant confirmé le licenciement d’une salariée en considérant que celle-ci avait tenu des propos considérés comme injurieux, et que malgré l’accès limité à ces informations par des personnes extérieures, celles-ci relevaient malgré tout de la qualification pénale d’injure publique. La jurisprudence semble désormais constante sur ce sujet, et les salariés imprudents, qui au nom de leur « liberté d’expression », inscrivent des propos inadaptés sur leur entreprise sont désormais sanctionnés par les juges du fond.

Il appartient d’être attentif à la diffusion de ces informations, les juges estimant que pour avoir un caractère « privatif », celles-ci ne doivent être accessibles « qu’à un nombre limité de personnes agréées ».

Pour conclure, il semble important de rappeler que la vocation première d’un réseau social est de partager des données (informations, photos, vidéos, etc.) avec ses amis, ses relations. Pourquoi voulez-vous donc que l’employeur soit exclu de ce partage, lorsque le salarié lui-même poursuit cet objectif ? L’employeur a donc le droit de consulter les réseaux sociaux, d’en contrôler le contenu et de sanctionner lorsque celui-ci peut porter un préjudice à l’entreprise, ou lorsque l’information recueillie permet d’apporter la preuve de la faute du salarié. C’est le cas pour ce salarié qui, sur son compte Facebook, semble avoir pris des vacances alors qu’il était supposé être en arrêt-maladie.

Loyale

La loyauté est un principe fondamental de la relation contractuelle de travail. Rappelons que le Code civil, à l’article 1134, et le Code du travail à l’article 1222-1, imposent l’exécution de bonne foi des contrats en général et en particulier du contrat de travail. La loyauté s’impose donc aussi à l’employeur dans sa recherche de preuve. Nous devons donc distinguer deux éléments :

  • Le fait de piéger son salarié : comme le fait de laisser volontairement de l’argent sur son bureau, avec pour seul objectif la constatation d’un vol.
  • Mettre en place moyen de surveillance de façon clandestine (en la matière la Cour de cassation demeure constante).

Proportionnelle

L’article 1121-1 du Code du travail introduit la notion de proportionnalité en rappelant que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Cette disposition est applicable en matière de contrôle et de recherche de preuves. La jurisprudence considère comme disproportionnée la surveillance permanente par vidéosurveillance (décision de la CNIL – délibération 2012-475 du 3 janvier 2013 et Cour de cassation, Chambre sociale du 7 juin 2006, n° 04-43.866), ou bien encore l’inscription au règlement intérieur de l’entreprise de la fouille systématique des salariés.

Non-discriminatoire

Bien évidemment, l’application du pouvoir disciplinaire ne saurait être discriminatoire, mais cette disposition s’applique à l’identique aux moyens de contrôle qui peuvent être mis en œuvre par l’employeur. Ainsi, l’affaire IKEA est sans nul doute le parfait exemple d’une surveillance ayant pris un caractère discriminatoire. Une affaire qui en 2012 voit le groupe suédois être mis en accusation pour avoir effectué des surveillances illicites visant en particulier un délégué syndical, mais aussi des salariés appartenant à une même origine raciale. Une situation qui n’est pas isolée, on a ainsi vu l’infiltration d’un salarié qui a été recruté spécifiquement pour espionner certains de ses collègues de travail soupçonnés de vol. Des pratiques bien entendu parfaitement illégales qu’il est urgent de mettre dans le placard des « mauvaises idées ».

Les différents moyens de contrôle

« L’employeur a le droit de contrôler et il est reconnu à l’employeur le droit et le pouvoir de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail. » Un principe admis par tous et reconnu par la jurisprudence qui bien entendu en rappelle les limites et souligne l’importance qu’elle attache au respect d’un strict formalisme juridique (voir chapitre ci-dessus). Ce chapitre est entièrement consacré à ces moyens de contrôle qui sont mis à la disposition de l’employeur.

À l’intérieur de son entreprise, l’employeur est en droit de déployer différents moyens techniques permettant de contrôler cette activité. L’ancestrale pointeuse sera remplacée par d’autres moyens de contrôle plus modernes avec l’introduction progressive des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication).

Le contrôle des salariés par les outils informatiques

Le développement de l’informatique sur le lieu de travail et l’usage désormais massif d’internet, avec 94 % des entreprises aujourd’hui connectées, introduit sans aucun doute un enrichissement des moyens de contrôle à la disposition du chef d’entreprise. Ainsi, l’introduction de ces technologies permet d’effectuer une surveillance de l’activité des salariés à un niveau qui jusqu’alors n’avait jamais été envisagé, puisqu’au-delà de la simple surveillance du temps de travail, il lui est désormais possible de contrôler l’activité de son salarié, sur son rythme et l’intensité de son travail.

Par nature, l’outil informatique permet de « tracer » le salarié au quotidien sur son activité professionnelle.

En la matière, la jurisprudence semble donner à l’employeur un pouvoir de contrôle accru. Ainsi « les courriels adressés et reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels…  »

Une jurisprudence qui semble ne plus vouloir se limiter à la seule messagerie électronique et qui s’étend aujourd’hui à l’ensemble des moyens technologiques mis à disposition du salarié dans le cadre de sa relation contractuelle de travail. En effet, en 2012 la Cour précisait que « les fichiers créés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels…  »

Le 12 février 2013, c’est au tour des supports de stockage amovibles que la Cour de cassation s’attaque, et qui juge « qu’une clé USB, dès lors qu’elle est connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution du contrat de travail, étant présumée utilisée à des fins professionnelles, l’employeur peut avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient, hors la présence du salarié ».

Très récemment, l’arrêt de la Cour en date du 10 Février 2015 donne désormais la possibilité à l’employeur d’effectuer un contrôle des Short Message System (SMS), confirmant que si ces derniers sont expédiés sur un téléphone fourni par l’employeur ceux-ci sont « présumés avoir un caractère professionnel » et sont donc consultables par l’employeur en dehors de la présence du salarié.

Bien entendu, tout cela est sans compter avec les autres moyens technologiques mis à la disposition de l’employeur : logiciels de télémaintenance des postes de travail, pare-feu ou firewall, outil de gestion du travail de groupe, (workflow) et autres « cookies ».

Le 20 Mars 2013, la CNIL a d’ailleurs précisé que le logiciel Keylogger avait un caractère intrusif. Ce logiciel, dont l’objectif est d’assurer une surveillance quasi-permanente des salariés, permet entre autres de dater toutes les frappes saisies sur le clavier d’un poste informatique. Ce moyen de contrôle, installé à l’insu des salariés, est pour la CNIL une atteinte aux libertés individuelles.

Un arsenal technologique qui n’offre alors que peu de possibilités au salarié d’échapper à un contrôle quotidien de son activité.

Tout comme les moyens « classiques » de contrôle, la validité juridique de ceux-ci passe nécessairement par le respect d’un formalisme juridique :

  • Le moyen de contrôle doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL.
  • Les instances représentatives du personnel seront obligatoirement consultées (CHSCT et CE).
  • Une information devra être faite auprès des salariés concernés et il est fortement conseillé de rédiger une charte informatique.

Parmi l’ensemble de ces nouvelles possibilités technologiques désormais à la disposition de l’employeur pour effectuer si nécessaire des contrôles, il nous est apparu important d’effectuer un focus sur la géolocalisation et la vidéosurveillance.

En préambule, il est nécessaire de rappeler que, comme n’importe quel moyen de contrôle « informatisé », celui-ci doit faire l’objet d’une mise en place formelle, qui nécessite :

  • une déclaration du moyen de contrôle auprès des services de la CNIL ;
  • une information des instances représentatives du personnel (CE et CHSCT) ;
  • une information individuelle faite auprès des salariés concernés par ce moyen de contrôle ;
  • une conservation des informations collectées, limitée dans le temps et accessible par le salarié concerné.

Malgré cette procédure commune, chacun de ces moyens de contrôle a fait l’objet de limitations par la jurisprudence.

La géolocalisation

Ce moyen de surveillance le plus souvent installé sur les véhicules de société, mais aussi sur certains appareils nomades (smartphone), ne doit avoir pour objectif que d’assurer la sécurité de l’employé, des marchandises qu’il peut être en charge de transporter ou des véhicules dont il a la responsabilité.

C’est aussi pour l’employeur, lorsque cela ne peut pas être opéré par des moyens classiques, la possibilité de suivre le temps de travail du salarié. Enfin, certaines professions ont recours à la géolocalisation, soit pour permettre la facturation d’une prestation (taxi, ambulance), ou pour respecter des obligations légales ou réglementaires (transport de fonds).

En tout état de cause, ces dispositions excluent toute démarche qui prendrait un caractère intrusif, si l’employeur prenait la décision d’effectuer un contrôle permanent et ce en parfaite infraction avec les dispositions de l’article L11211-1 du Code du travail. La CNIL rappelle donc que ce moyen de contrôle est illicite lorsqu’il est mis en place :

  • pour surveiller un salarié en dehors de son temps de travail, lorsque celui-ci est autorisé à utiliser son véhicule à des fins privées ;
  • lorsque le salarié bénéficie dans le cadre de son activité, d’une certaine autonomie dans la gestion de son temps de travail ;
  • pour contrôler le respect des limitations de vitesse ;
  • pour contrôler un employé en permanence ;
  • pour calculer le temps de travail du salarié alors qu’un autre dispositif plus respectueux des libertés individuelles est déjà en place dans l’entreprise.

La vidéosurveillance

Mis en place dans l’entreprise là encore afin d’assurer la sûreté des locaux, des biens et des personnes, ce moyen de contrôle peut quelquefois être utilisé comme preuve en matière disciplinaire.

L’usage abusif de ce moyen de contrôle est vivement sanctionné par la jurisprudence et par la CNIL. Ainsi, il est impossible, sauf cas particulier (guichet de banque) de filmer en permanence un poste de travail, ou de positionner des caméras dans des endroits où pourrait être atteinte l’intimité de la vie privée des salariés (toilettes, vestiaires, douches, salle de pause…).