Soutenir l’innovation permanente – Extrait du livre « Manager l’innovation autrement »

La structure de l’organisation dépend autant de la volonté des dirigeants que de son environnement externe. Cette structure s’appuie sur une démarche globale, une stratégie qui est capable de s’adapter, tout en restant cohérente sur le long terme et une organisation structurée, mais souple.

Selon une étude de janvier 2015[1], il existe dans les entreprises françaises quatre types d’organisation du travail :

Fonctionnelle ; 48 % des entreprises ont une organisation hiérarchique fonctionnelle, c’est-à-dire, pyramidale avec toutes les fonctions, déclinée ensuite par niveaux.

Divisionnelle ; 22 % des entreprises sont dans une organisation divisionnelle, c’est-à-dire organisées par produits ou marques, chaque division est relativement autonome par rapport aux autres, mais avec une hiérarchie structurée.

Matricielle ; 25 % des entreprises ont une organisation matricielle. C’est une combinaison des deux premiers types d’organisations qui mixe les avantages et les inconvénients. Cette structure reste pyramidale en complexifiant les relations hiérarchiques.

Mode projet ; 6 % des entreprises ont adopté une structure en mode projet. C’est sur le papier la structure idéale pour développer l’innovation dans les entreprises. C’est la structure la plus souple et la plus réactive, mais peu usitée car peu ou pas comprise par les dirigeants (elle peut également prendre le nom d’organisation orientée projet ou conception).

Une entreprise qui fonctionne avec une organisation reposant sur de nombreux niveaux hiérarchiques, ou une structure de décision fortement centralisée et matricielle, ne peut pas agir avec souplesse et réactivité face aux aléas économiques et financiers par exemple.

Les exemples sont nombreux, Téfal et 3M sont des cas exemplaires d’une catégorie particulière d’organisation, celle des « organisations orientées conception » (design oriented organizations ou mode projet), qui possèdent comme caractéristiques de ne pas simplement parvenir à mener à bien avec succès un projet d’innovation isolé, mais de développer une capacité à construire une trajectoire durable d’innovations successives introduisant des ruptures significatives[2].

Nous avons cependant fait le choix d’analyser l’entreprise Google dans le cadre de la clarification que nous souhaitons apporter à l’idée que nous pouvons nous faire d’une organisation innovante.

Le cas Google

L’histoire de Google

C’est une entreprise pour laquelle nous n’avons pas trouvé d’organigramme et qui repose sur les trois dirigeants que sont L. Page, P.-D.G. et cofondateur, S. Brin, cofondateur et également Éric E. Schmidt président exécutif.

Elle est structurée autour de 17 vice-présidents et auxquels répondent les managers de proximité[3].

Google est devenu la plus grosse capitalisation boursière du monde de près de 394 milliards de dollars, juste derrière le groupe Apple, à la clôture de la Bourse de New York.

La mission de Google : organiser les informations à l’échelle mondiale dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous.

Le slogan de Google créé en 2004 est « Don’t be evil » (« Ne soyez pas malveillants »)[4].

L’histoire de cette entreprise est connue de (presque) tout le monde. En
20 ans cette entreprise est devenue le symbole de l’innovation permanente à travers l’outil de recherche, mais aussi de multiples applications pour faciliter la relation, la communication, la gestion des informations… Chaque année, 13 % du chiffre d’affaires est affecté à la R & D et c’est une des entreprises qui investit le plus au monde dans la recherche.

1995 : rencontre de S. Brin et L. Page, âgés de 25 ans, à San Francisco. Ils se lancent dans une démarche un peu utopique et créent un outil qui rassemble toutes les informations disponibles.

1996 : Google débute sous le nom de BackRub.

1997 : ils créent Googol.

1998 : création de Google dans la Sillicon Valley (Menlo Park) en Californie.

2000 : Google devient officiellement le plus grand moteur de recherche. Introduction d’Adwords et de Toolbar.

2001 : le Dr E. Schmidt devient le CEO de Google pour continuer à développer l’entreprise tout en apportant un peu de structuration et de rationalisation dans la démarche toujours utopique de ses créateurs « une entreprise sans chef ».

2003 : acquisitions de Pyra Labs (blog attitude).

2004 : cotation en Bourse. Acquisition de Picasa (photos) et Keyhole (image tirée du satellite).

2005 : acquisition de Web analytics firm Urchin Software et création de Google Map.

2006 : acquisition de YouTube.

2007 : arrivée d’Android et de Street View.

2008 : lancement du Cloud et de Google Chrome.

2009 : les deux créateurs sont au 27e rang des plus grandes fortunes. Considérée comme étant la plus importante société technologique après Microsoft, Google emploie plus de 19 000 employés partout dans le monde. CA de 21 796 milliards de dollars, lancement également de Google Chrome OS.

En 2010 : lancement du Google phone.

2011 : lancement de Google + et achat de Motorola pour 12,9 milliards de dollars.

2011 : Google investit 280 millions de dollars dans l’entreprise Solar City, ce qui lui permet d’annoncer un investissement total dans les énergies vertes de 680 millions de dollars. En avril, selon le Los Angeles Times, « la direction de Google est désormais divisée en six pôles, avec à leur tête des cadres plus autonomes ». A. Rubin a été désigné vice-président du mobile, V. Gundotra, vice-président du social, S. Pichai, vice-président de Chrome, S. Kamangar, vice-président de YouTube et de la vidéo, A. Eustace, vice-président de la recherche, et S. Wokcicki, vice-présidente de la publicité. Chacun d’entre eux sera responsable de son pôle directement auprès de L. Page. Le successeur d’E. Schmidt, adopte ainsi une organisation proche de celle mise en place par S. Jobs au sein d’Apple. L’idée consistant à mettre en place des pôles plus autonomes et à rationaliser la prise de décision.

2012 : lancement des Google glass lunettes connectées.

2013 : 53 000 salariés dans le monde, une entreprise qui « ne connaît pas ses limites ». Fin 2013, la part de marché de Google monde est de 90,7 %, devant Bing 3,7 %. Résultats financiers : 12,9 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 59 milliards de dollars.

2014 : lancement d’une démarche sur l’intelligence artificielle avec le rachat de DeepMind et de Nest Labs, revente de Motorola à Lenovo, prise de participation de 5,94 % dans le capital de Lenovo, achat de Green Throttle Games en octobre 2014, investissement de 542 millions de dollars dans Magic Leap.

Cette entreprise a, en 20 ans, initié plus de changements qu’il ne s’en était passés depuis 50 ans dans le domaine de la communication, de la gestion de l’information de masse et en utilisant la publicité comme palliatif à la gratuité de leurs services. Google et Apple ont, selon l’enquête Ipsos 2014, l’image d’une entreprise « innovante », « en avance sur son temps », « a modifié pour toujours le paysage des consommateurs » et elles sont désignées comme leader sur trois autres items : « crée de nouvelles tendances », « domine ses concurrents » « est un exemple pour d’autres marques ».

L’organisation de Google

Dans cette organisation souple, des règles existent. Les salariés travaillent 80 % de leur temps sur la mission qui leur a été confiée et pour laquelle ils sont officiellement payés, et 20 % de leur temps est dédié à des recherches personnelles qui pourront éventuellement être reprises par l’entreprise si elle est intéressée. Cet aménagement du temps n’a pas été inventé par Google (on la retrouve chez 3M, Hewlett-Packard, Microsoft). Elle est cependant le symbole de l’autonomie accordée aux employés par rapport au contrôle de l’encadrement.

Googlitude : « Nous voulons avoir une idée de votre personnalité. Nous tenons également à nous assurer que vous vous épanouirez chez nous. Nous recherchons donc à percevoir si vous êtes à l’aise avec l’ambiguïté, si vous êtes de nature entreprenante et si vous avez un esprit de collaboration. »

Chez Google, les équipes sont petites, connectées et autonomes. Dans les autres entreprises, l’organisation du travail repose sur une structure qui détermine un cadre pour dix employés ou ouvriers. Chez Google, la proportion se situe à un responsable pour vingt à quarante personnes, selon les projets. Ses fondateurs ont observé les effets pervers des bureaucraties qui, même dans les entreprises privées, perdent un temps et une énergie considérables à gérer la « technostructure »[5]. Les équipes opérationnelles sont réduites à quelques dizaines d’individus autour d’un projet, ce qui permet une coordination efficace. L’entreprise s’est ainsi construite sur une logique de « forum ouvert » où les seuls outils de régulation sont le plus souvent réclamés par les utilisateurs eux-mêmes de façon à éviter le chaos d’informations. Mais les listes sont ouvertes et, finalement, le meilleur outil de modération s’avère être la communauté elle-même. Les dirigeants de Google disent que « ce sont les employés qui font l’entreprise », c’est-à-dire que les réseaux formels et informels qui se créent autour de projets font la réussite de ces projets. L’organisation du travail chez Google facilite cette mise à contribution réciproque. En 2011, est également lancé Google +1, qui permet de valoriser un site. Par exemple, l’entreprise a demandé à tous ses collaborateurs cette année-là, de tester le nouveau produit auprès de leurs familles et amis et d’utiliser à fond le système des réseaux sociaux.

La structure de Google repose sur une organisation souple « en faisant le pari de l’intelligence collective, l’entreprise a mis en place une culture d’entreprise qui est aujourd’hui l’un de ses avantages compétitifs les plus originaux ».

« Le groupe a toujours été dirigé par des ingénieurs », explique Mats Carduner, ancien patron de Google France. « Ils sont très optimistes sur la technologie, ils pensent qu’elle constitue un bienfait pour l’homme, même si cela crée des frottements inquiétants sur la vie privée ou le rapport homme-machine. » Le développement d’innovations permanentes sert à améliorer le business model de Google, fondé sur l’accès à l’information. C’est aujourd’hui la seule entreprise parvenue à créer autant de valeur autour du pouvoir de la connaissance, en offrant gratuitement ses services et en les finançant quasi exclusivement par la publicité.

La méthode de travail chez Google repose sur une structuration des projets. Des étapes courtes, des objectifs précis. Google parvient à développer des centaines de projets différents, car l’entreprise fixe des délais très courts pour les étapes intermédiaires. « La technologie est au cœur du management. La technologie représente un outil de coordination et d’interface permettant d’exploiter le capital social. » Un management de l’organisation, qui vient contredire les théories classiques, en devenant l’une des marques les plus connues malgré les critiques et la dérogation aux règles habituelles d’organisation et de fonctionnement.

Une direction qui attire « nous nous attachons à appliquer aux décisions concernant les individus la même rigueur que s’il s’agissait d’une décision concernant une question d’ingénierie. Notre mission, c’est que chaque décision concernant un individu soit fondée sur des données objectives ». T. Carlisle, directeur du personnel chez Google a décidé de mener une étude en vue de déterminer le nombre optimal d’entretiens à imposer à un candidat à l’embauche. Le nombre d’entretiens après lequel la note moyenne du candidat rejoint la note finale est égal à quatre. « Après quatre entretiens » confirme Carlisle, « les rendements sont décroissants ».

 

[1]. L’observatoire des RH et de la e-transformation, étude réalisée fin 2014 et publiée en janvier 2015.

[2]. Thèse de V. Chapel, La croissance par l’innovation : de la dynamique d’apprentissage à la révélation d’un modèle industriel. Le cas Tefal, 1997.

  1. Le Masson, A. Hatchuel et B. Weil, Les processus d’innovation, Lavoisier, 2006.

[3]. Les informations utilisées dans cette partie proviennent majoritairement des sites officiels de Google.

[4]. Selon le site de Google en 2004 lors de son introduction en Bourse.

[5]. L. Frobert, John Kenneth Galbraith : la maîtrise sociale de l’économie, Éditions Michalon, 2003.