La phase de négociation d’un contrat – Extrait du livre « Le contrat : mode d’emploi »

La négociation est une phase préalable à la conclusion du contrat. Il n’y a donc pas à ce stade, a priori, de véritable relation contractuelle. Pourtant, les acteurs échangent. Chacun peut faire des propositions qui peuvent avoir des conséquences sur le plan juridique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il faut savoir être prudent, bien réfléchir avant de se prononcer et, bien sûr, être particulièrement attentif au contenu du contrat que l’on s’apprête à signer.

1. Puis-je obliger une personne à participer à des négociations ?

En principe, il ne saurait être question de pouvoir forcer une personne à négocier, et l’on peut s’en réjouir. D’emblée, une réponse positive à cette question aurait d’ailleurs semblé particulièrement intolérable et contraire aux principes de liberté propres à une société démocratique. Pourtant, il existe des exceptions qui peuvent en réalité aboutir à une véritable contrainte de participer à des négociations, pour peu que cela soit clairement justifié.

Ainsi, une personne peut être obligée de participer à des négociations parce qu’elle s’y est engagée à l’avance dans un contrat. L’idée est de conclure un contrat pour sécuriser la phase de négociation et ainsi motiver les partenaires à conclure le contrat définitif.

Mais concrètement, pourquoi s’engagerait-on de la sorte ? Cette pratique prend en réalité tout son sens lorsque l’on est déjà en relation contractuelle avec quelqu’un et que le contrat considéré s’apprête à prendre fin. Si les parties n’ont rien prévu de spécifique, le contrat se termine et elles ne sont plus obligées de faire quoi que ce soit en vertu de ce contrat. C’est logique. Or, cela peut être fâcheux pour l’une d’elles, en particulier si elle s’est beaucoup investie, parfois même dans l’espoir de poursuivre le partenariat en cours.

Certains pourraient penser qu’il suffirait, pour se sentir rassuré, de conclure le contrat pour une durée illimitée. Or, cela n’est ni souhaitable, ni possible d’ailleurs (cf. question n° 12). Imaginez un instant que vous puissiez être prisonnier d’un contrat jusqu’à la fin de vos jours. Cela n’est guère rassurant, d’autant plus que les conditions initiales du contrat peuvent changer et que, nous le verrons, la modification d’un contrat pour de telles raisons n’est pas toujours évidente (cf. questions n° 35 et 36).

Aussi, il peut sembler judicieux de prévoir à l’avance qu’à la fin du contrat, c’est-à-dire au moment d’un éventuel renouvellement de celui-ci, les parties auront l’obligation de négocier les conditions de poursuite de la relation contractuelle. Ainsi, si personne n’est réellement contraint de continuer à exécuter le contrat, celui qui y aura un intérêt pourra au moins obliger l’autre à le négocier. Certes, on ne pourra rien faire contre un refus catégorique, mais si la position est hésitante, le recours à une telle procédure pourrait bien être la clé d’une vraie réussite.

Précisions : En cas de violation par un contractant d’une obligation prévue dans le contrat de négociation (ou clause de négociation), l’autre partie sera en mesure de demander au juge la réparation du préjudice qu’elle subit à cause de ce manquement. Cette situation relève de la responsabilité civile contractuelle qui est traitée plus loin dans l’ouvrage (cf. question n° 38).

Conseil : Le rédacteur d’un contrat de négociation ou d’une clause de négociation doit savoir être très précis sur les modalités applicables. Il ne doit par exemple pas hésiter à prévoir des délais impératifs pour les échanges (en précisant notamment que le respect de ces délais est une obligation de résultat – cf. question n° 38).

L’idée est ici de rendre la violation du contrat plus évidente et donc, clairement, de faciliter la preuve de ce manquement contractuel. En l’occurrence, le non-respect du délai, même non fautif, sera considéré comme étant un fait générateur de responsabilité civile.

Mais attention, une telle pratique n’est évidemment pas souhaitable concernant les opérations anodines pour lesquelles il faut tout de même savoir faire preuve d’un peu de souplesse. S’il faut être en mesure de sécuriser sa situation future au moment où l’on est en position de force, il ne faut évidemment pas perdre la chance de conclure un contrat pour des raisons de pure frilosité.

Exemple

Exposé du cas : Un jeune restaurateur jouit d’une grande renommée depuis qu’il a reçu, le mois dernier, la plus haute des distinctions gastronomiques que puisse espérer un chef cuisinier.

L’un des plus gros acteurs de la finance européenne souhaiterait faire appel à ses services afin d’assurer les nombreux cocktails qu’il compte organiser durant les deux prochaines années. Le restaurateur est très emballé par cette proposition mais il s’interroge sur la façon dont il pourrait sécuriser l’évolution de la relation contractuelle envisagée.

Commentaires : Ici, le jeune chef aurait tout intérêt à négocier l’insertion d’une clause relative au renouvellement du contrat qu’il envisage de signer. En effet, il est, grâce à la renommée dont il bénéficie depuis peu, dans une position plutôt enviable. Mais il n’est pas certain que cela puisse durer. Aussi, il devrait profiter de sa situation et essayer d’organiser à l’avance, dans le contrat, les modalités de négociation d’un éventuel renouvellement du partenariat à l’issue des deux années.

2. Je me suis sérieusement investi dans des négociations qui n’ont pas abouti. Ai-je un recours contre celui qui m’a fait perdre mon temps ?

Il faut savoir que durant la phase de négociation, en principe, chacun est libre d’abandonner la relation. Cela paraît logique car le contrat n’a pas encore été conclu. Néanmoins, on l’a vu précédemment, les personnes qui négocient en vue de conclure un contrat peuvent tout à fait conclure un contrat préalable qui aura pour but d’organiser cette phase de négociation (cf. question n° 1). C’est alors que la violation des règles prévues dans cet avant-contrat pourrait aboutir à la mise en œuvre de la responsabilité civile de son auteur.

La question donc est de savoir s’il est possible, en l’absence de contrat préalable, de se retourner contre celui qui nous aurait inutilement fait perdre notre temps. La réponse à cette question est positive. La Cour de cassation a en effet décidé que les personnes négligentes n’ayant pas de réelle intention de signer le contrat devaient être condamnées lorsque leur comportement a été préjudiciable pour les personnes avec lesquelles elles étaient en train de négocier.

À plus forte raison, les personnes qui utilisent cette phase de négociation à des fins déloyales doivent être sanctionnées, en particulier lorsqu’elles ont utilisé les pourparlers pour obtenir des informations confidentielles !

Précisions : Les règles qu’il convient d’appliquer ici sont celles de la responsabilité civile extracontractuelle traitée par les articles 1382 et suivants du Code civil.

Selon ces règles, celui qui souhaite obtenir une indemnité doit faire état d’un préjudice causé par un fait générateur de responsabilité.

En l’occurrence, ici, la personne qui demande des dommages-intérêts doit d’abord être en mesure d’évaluer le montant de son préjudice (c’est-à-dire exposer une somme en euros en la justifiant en produisant tout document utile). Elle doit ensuite décrire précisément l’événement qui en est à l’origine (par exemple le comportement fautif de la personne avec laquelle elle négociait) et donc expliquer en quoi c’est bien cet événement qui a causé le préjudice. Pour bien comprendre chacune de ces étapes, primordiales, référez-vous à la solution apportée au cas concret exposé ci-après.

Conseil : Pour obtenir une indemnité du chef de la rupture brutale des pourparlers, l’intéressé doit saisir le juge compétent (cf. question n° 9) et correctement argumenter sa demande. La grosse difficulté en la matière sera, vous devez vous en douter, de prouver tout ce que l’on avance. Il ne faut donc pas hésiter à rassembler des traces écrites des différents échanges (e-mails par exemple) ou être accompagné de personnes qui pourraient témoigner si cela s’avère nécessaire.

Exemple

Exposé du cas : Une femme qui vient de prendre sa retraite s’est installée à la campagne pour profiter pleinement de son nouveau statut. Afin de réduire les charges qui lui incombent, elle a décidé de louer l’appartement parisien qu’elle a récemment quitté.

Un jeune homme, d’abord intéressé par la location, lui indiqua qu’il serait éventuellement prêt à le lui acheter. Les parties discutèrent du prix pendant plusieurs jours. Le futur acheteur proposa la tenue d’une réunion près de chez lui en présence de leurs avocats afin de déterminer les modalités de la vente. Après avoir confirmé à maintes reprises son intérêt pour l’appartement et clairement énoncé qu’il disposait de moyens financiers non négligeables, il demanda même à la retraitée de s’engager à ne pas le louer jusqu’à la signature de la promesse de vente, prévue devant le notaire deux mois plus tard.

Malheureusement, la veille de la signature de cette promesse, le jeune homme indiqua qu’il ne disposait finalement pas de l’argent nécessaire à l’acquisition du bien immobilier en question faute d’avoir obtenu une garantie bancaire.

La petite retraitée est très mécontente car elle s’est beaucoup investie en vue de la conclusion de ce contrat. Elle indique notamment qu’elle a dû faire plusieurs allers-retours en train, payer un avocat et même s’abstenir de louer son appartement pendant plusieurs mois ; autant de frais qu’elle estime ne pas avoir à supporter. Elle envisage alors sérieusement d’attaquer le jeune homme en justice pour obtenir une indemnisation.

Commentaires : Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du jeune homme semblent ici tout à fait réunies. La retraitée pourrait bien obtenir sa condamnation au paiement de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle (articles 1382 et suivants du Code civil) en saisissant le juge.

En effet, elle a clairement subi un préjudice. On sait qu’elle a déménagé en province et qu’elle a dû payer des billets de train pour participer aux négociations. Elle a également dû participer à une réunion durant laquelle elle était assistée d’un avocat qu’elle a rémunéré. Elle a enfin été contrainte d’immobiliser son bien durant au moins deux mois, ce qui l’a empêchée de le louer.

Par ailleurs, ce préjudice est effectivement causé par le comportement du jeune homme, négligent voire dolosif car il lui a délibérément laissé croire qu’il serait en mesure de payer le prix de vente, qu’il lui a demandé de s’abstenir de louer l’appartement et qui, au surplus, n’a manifesté son impossibilité d’acheter que la veille de la signature de la promesse. Tous les frais et manques à gagner auraient évidemment pu être évités si le futur acheteur avait été plus diligent.

Extraits du Code civil

Article 1382

Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Article 1383

Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.