Évaluer et manager – Extrait du livre « L’évaluation professionnelle »

Un rôle, une mise en situation

Évaluer nous invite à intégrer davantage d’objectivité dans la relation, qui elle-même s’appuie sur une démarche active dans l’échange.

La posture de l’évaluateur met en situation son engagement dans l’évaluation, la qualité de sa relation à l’autre, et organise le moyen d’accéder à une compréhension construite de l’autre.

L’évaluation est un acte de communication auquel le manager de l’entreprise participe. L’entreprise délègue à l’évaluateur la responsabilité de sa marque et de ses valeurs, vécues et réelles.

Cette évaluation réalisée par le manager devient une illustration de la relation managériale et un levier de création de performance objective, individuelle et collective.

Dissocier le savoir du savoir-être, ou le discours du comportement, encourage le risque d’erreur d’évaluation. C’est omettre de prendre en compte ce qui pourrait être dissonant par rapport au discours, et simplement d’aborder la cohérence entre ce discours et la réalité de celui-ci en situation.

Ainsi, le candidat-manager communique son style de management en restituant objectivement ses réalisations et sa pratique managériale. Le manager-évaluateur le fait par la relation qu’il établit durant l’échange, transmettant ainsi sa propre culture managériale mais aussi celle de l’entreprise. Ce moment est un révélateur de la qualité de relation de l’évaluateur à l’autre d’une manière générale. Elle se traduit au moins dans le formalisme et le contenu de l’échange.

Au-delà de ses compétences techniques, le manager crée une relation de confiance et de légitimité : ses compétences managériales.

Manager en confiance : un métier

Management et expertise

Cette notion de confiance renvoie d’ailleurs à la perception du rôle même de manager, à son mode de recrutement et d’évaluation. La capacité à maîtriser le niveau technique d’une filière de compétences (juridique, financière, informatique…) est encore, trop souvent, même si cela évolue, l’élément déterminant pour occuper un rôle de manager. Cette fameuse culture du savoir qui vaut pour clé d’accès au statut. C’est occulter la part essentielle du rôle de manager : manager.

Le manager est-il seulement celui qui sait ? Au-delà de certaines considérations managériales (capacité à établir une stratégie, à fixer des objectifs, à mettre en place un reporting, à vérifier…), les dimensions humaine et comportementale sont des éléments déterminants de la légitimité managériale. Elles se traduisent notamment dans la délégation, la communication et la prise de décision.

C’est la confiance que le manager a en lui-même qui alimente celle qu’il est capable de partager. C’est une confiance pour déléguer, pour créer des conditions d’autonomie, de développement des collaborateurs et de partage des responsabilités.

Le manager est un animateur des capacités des individus qui composent son équipe. Il encourage à révéler les aptitudes de chacun, sans altruisme éclairé, pour créer des performances individuelles, qui, mutualisées, participent à la performance collective.

La subjectivité ou la partialité dans l’évaluation, notamment par et pour le manager, remettent en question la culture d’efficacité. L’évaluation de la compétence technique pourrait sembler objective, factuelle. Pourtant, en matière de management, sa seule prise en compte dans l’évaluation ne suffit pas à dimensionner la capacité individuelle à occuper le rôle. Trop partielle, elle aboutit en fait à la subjectivité de l’évaluation managériale. Être l’expert individuel scientifique ne suffit pas à créer une culture d’équipe, à déployer les talents et à les motiver à s’engager ensemble vers un objectif collectif.

Certes, l’objectivité absolue n’est pas envisageable et ne serait d’ailleurs pas souhaitable. Elle reste toutefois un facteur d’attention qui amène une question au moment de la décision : « Quel est le lien entre les éléments de ma décision et le besoin du poste, ou de la situation ? » Par exemple, celui ou celle qui devient responsable commercial au sens large (responsable, directeur) est-il celui qui réalise le plus gros business dans l’entreprise ? Ou est-il celui qui développe les qualités d’amener ses équipes à réaliser davantage, à gagner, à se mobiliser pour participer au développement de l’entreprise ?

Le manager abandonne en fait une partie de sa performance individuelle de filière pour développer la performance collective. Il s’investit dans une nouvelle compétence : celle de déployer celles des autres, et créer un résultat d’équipe efficace et durable.

C’est cette responsabilité, vis-à-vis de son équipe ou de l’entreprise, qui engage le manager à prendre des décisions par rapport aux objectifs collectifs. Sa légitimité est en partie issue de cette aptitude à initier et encourager le résultat réalisé par le groupe. Sa seule compétence technique le coupe généralement de cette approche collective du rôle, pour n’exister que dans un statut d’expert, référent, mais isolé de la dimension humaine de la fonction managériale.

L’expert est en performance de savoir, mais risque la sous-performance managériale et collective s’il ne développe pas cette aptitude managériale. Il préfère la reproduction ou la sauvegarde d’une valeur collective qui s’appuie sur la maîtrise du savoir, plus que sur le développement de l’individu.

C’est prendre le risque de freiner la capacité de l’entreprise à s’ouvrir, se déployer et grandir selon la capacité individuelle de contribution performante. Même s’il est évident que l’innovation, le renouvellement et la transmission du savoir sont une clé du développement de l’entreprise, le savoir-être en est des leviers d’accélération.

L’entretien est un moment qui révèle la capacité individuelle de manager. Un manager, candidat ou évaluateur, qui ne s’engage pas sur l’aspect situationnel de son rôle, aura peu de chances de révéler ses qualités en poste.

L’évaluation est aussi le moment pour le manager de reconnaître les aptitudes, techniques et comportementales, en dehors de son propre seuil de compétences et d’une éventuelle tendance à les protéger. Dans ce cas, il s’agit de sa limite de confiance.

Celle-ci exerce une forme de plafond de capacité pour l’équipe et chacun de ses membres : « Je suis le référent de compétences, ce qui est possible est ce que je connais et ce que je sais faire ». L’autre ne peut en savoir davantage ou se révéler un potentiel supérieur aux aptitudes du manager, sinon, il représente un danger.

Le manager qui se préserve dans son statut limite donc la performance collective. Il contrôle le potentiel qu’il est prêt à intégrer dans son équipe et dans l’entreprise.

Se préserver soi-même au détriment du bénéfice collectif… un vague écho du réflexe de protection de l’Institution.

Protéger ou animer

La confiance du manager en ses propres capacités, et sa capacité de les faire évoluer ou non, a une incidence sur l’évaluation de son interlocuteur.

C’est essentiellement la confiance en soi qui permet de faire face à la performance de l’autre. Le manager doit aussi accepter que ce soit l’autre qui se trouve en capacité de dépasser sa propre limite, sur un ou plusieurs sujets, sans que cela ne remette en question la globalité de la légitimité du manager.

Avoir confiance c’est laisser l’autre accéder à son propre univers de réalisation, sans considérer pour autant que son propre développement en tant que manager soit remis en question. Il n’est pas question de compétition, mais de laisser chacun exprimer ses capacités, en les canalisant et leur donnant une cohérence pour l’organisation : le rôle du manager. Animer, fédérer, développer individuellement vers une performance d’équipe.

La performance ne serait donc pas le seul fruit d’une capacité à battre l’autre, mais celui d’une aptitude à mobiliser ses ressources individuelles pour les exprimer au mieux, et, de fait, se positionner en valeur ajoutée plutôt qu’en « valeur résiduelle » ou relative.

Il existe des outils de mise en situation qui permettent d’évaluer des compétences, de manière pragmatique : « les assessments ». Ils nécessitent de considérer avec objectivité la situation créée et ce qu’elle doit permettre d’évaluer.

Ces outils peuvent assez bien traduire la culture managériale de l’entreprise. Certains exercices sont tout à fait intéressants et constructifs, alors que d’autres relèvent davantage de l’arbitraire, de l’incohérence entre le contenu et l’objet de l’ « assessment ».

Il arrive que des sessions utilisent la création de situations de tension, de pression, voire de situations extrêmes. L’objectif est davantage d’évaluer un seuil de résistance à l’épreuve, plutôt que l’individu dans sa globalité : c’est supposer rechercher le meilleur en créant le contexte du pire. Une démarche quelque peu particulière.

Cette sollicitation par l’agressivité appelle le potentiel à résister, à combattre. Mais à construire, développer, encourager, mobiliser ? Ces mises en situation, qui caractérisent parfois la forme de certains entretiens individuels, traduisent une part de la culture managériale d’entreprise et d’équipe.

Ils sont un acte de management de la part de l’entreprise.

C’est l’exemple, relaté dans la presse, d’une entreprise française qui organise un « assessment » sous forme de prise d’otages. L’entreprise en question n’évoluant ni dans la sécurité ni dans l’univers caritatif en zone de conflit, le lien entre la situation et la réalité de l’entreprise n’apparaît pas de prime abord L’un des managers-collaborateurs se distingue, au cours de la mise en situation, en prenant une initiative contre les preneurs d’otages. Il pourrait, en fonction d’éléments contextuels et particuliers, se révéler valeureux, courageux ou responsable et ainsi mettre en évidence ses qualités managériales. Rien de tout cela en fait. La conclusion est le licenciement de ce collaborateur. Le directeur général se sentant menacé par l’audace de ce celui-ci, il fallait évincer le potentiel qui dépassait sa propre limite. Ce dirigeant s’identifiait-il donc au preneur d’otages, dans son propre poste ? Son statut dépassait-il sa légitimité ? Ou le courage n’est-il pas pour lui une valeur managériale? Fort probablement.

De la psychanalyse plus que du ressort de l’entreprise, et pourtant… Cela s’apparente aussi à un détournement d’outils d’évaluation pour satisfaire un besoin de sécurisation personnel : confiance et management ?

Cet exemple milite également pour l’importance de la capacité d’objectivité du manager, du dirigeant, de « l’homme de Pouvoir », en lien avec son périmètre de responsabilité : prendre des décisions selon la nécessité et l’objet de la situation. Il aborde aussi le sujet de la cohérence entre l’univers de l’outil et celui de la situation évaluée. C’est un mélange de genres, qui s’illustrait dans l’évaluation professionnelle par le recours à des tests utilisés en psychologie clinique, comme le test du Rorschach (taches d’encre), ou la numérologie, l’astrologie… C’est une pratique qui tendrait à disparaître. Nous revenons de loin.

Un des éléments de légitimité de l’outil est son adéquation avec le sujet traité.

En l’occurrence, résister à l’épreuve est certainement adapté aux recrutements militaires ou aux métiers dangereux d’une manière générale. Mais à l’entreprise ? À moins de la considérer comme un champ de bataille. C’en est une vision quelque peu extravagante, décalée et inquiétante. Gagner, réussir, remporter pourrait-il s’envisager autrement que par la destruction ?

Combien de candidats ont eu à essuyer un mode de communication de type agressif en entretien ? Comment exprimer la capacité à apporter une valeur lorsque l’évaluation n’en véhicule aucune ? Il n’est plus question de compréhension mais d’orientation arbitraire du moment d’évaluation. Il est autant question de posture de l’évaluateur que d’honnêteté intellectuelle.

En tant que représentant de la compétence managériale et de la culture d’entreprise, l’évaluation est pour le manager un moment de transmettre une idée concrète de son rôle en situation, auprès de celui ou celle qu’il pourrait manager.

La considération de cette posture managériale est une marque d’intérêt pour le rôle de développement et de structuration des équipes que lui délègue l’entreprise ou l’organisation. Son style de management peut générer l’adhésion et la performance des collaborateurs, selon la mobilisation des capacités de chacun, tout autant que division et insatisfaction.

Il pose un cadre à la participation individuelle et d’équipe au développement de l’entreprise.

Manager et organiser : une nécessité

Le manager, ou « l’homme de Pouvoir », élève sa fonction par la façon dont il occupe son rôle. Il développe une capacité à s’engager davantage dans l’intérêt collectif sans renoncer à sa satisfaction individuelle à s’y impliquer.

Certains exemples visibles actuels ou contemporains d’un exercice de la responsabilité ou du pouvoir, politique ou financier, transmettent une détérioration de ce sens collectif. Ces illustrations desservent la représentation du pouvoir, de celui ou celle qui est responsable. Elles entraînent l’énoncé de généralités « Les sont »

La valorisation par le statut semble autoriser ce que le rôle ne permettrait pas, par la course à l’image et au bénéfice immédiat qu’il engendre. Cet intérêt individuel diminue l’investissement du responsable (« homme de Pouvoir », manager…) dans la structuration de l’espace collectif, et abandonne le groupe à une désorganisation, sans règles ni repères communs.

C’est l’engagement du manager, du responsable, dans son rôle qui influence et projette une organisation globale. Il pose les limites des actes individuels et collectifs, du comportement en situation professionnelle et mobilise sur ce qui est partagé par les membres du groupe.

C’est une différence entre « autorité de statut » et « autorité de légitimité ».

Cette détérioration comportementale collective, soutenue par une transmission aléatoire dans le cadre privé, va jusqu’à créer la nécessité de campagnes d’éducation pour réintégrer l’espace public.

C’est le cas dans les bus et le métro parisiens, notamment. Des affichettes rappelaient des règles de décence et de vie en groupe qui pourraient sembler de base : ne pas hurler au téléphone, se lever pour laisser sa place à une personne qui peut en avoir besoin, ne pas utiliser la poussette comme une voiture bélier. Une autre campagne s’affichait dans le métro parisien. Elle se nommait « restons civils sur toute la ligne » et était destinée à sensibiliser les voyageurs aux incivilités dans les transports en commun : manque de propreté, nuisances sonores, bousculades, absence de courtoisie, fraude.

Ces campagnes s’adressent certes à un public externe, mais illustrent la nécessité pour l’entreprise, l’organisation, voire de l’Institution de rappeler que chaque espace individuel fait partie d’un espace collectif. C’est aussi le rôle des inspecteurs de salubrité publique qui s’assurent que les citadins ne se déversent pas, ou leurs déchets, sur l’espace public, jusqu’à rappeler, avec justesse, que cet espace public n’est pas un lieu pour uriner, comme le diffusaient les agents de propreté par une campagne de sensibilisation. Se répandre… jusqu’où ?

L’autorité pose des limites à ceux qui ne s’en fixent pas, ou pas suffisamment, et oublient cette notion d’espace collectif partagé.

Ces exemples, parmi tant d’autres, évoquent une déliquescence de la responsabilité individuelle vis-à-vis de l’autre, et de soi-même, voire même le besoin d’éducation d’une partie de la société.

L’entreprise doit-elle aussi éduquer ou son rôle est-il de former ?

Si la sphère privée et familiale ne transmet plus cette notion de limite, d’éducation à l’autre, si « l’homme de Pouvoir », le privilégié transgresse la règle, c’est toute la structure collective qui s’effondre. C’est la valeur de l’exemple qui disparaît.

Si l’on considère que l’entreprise, ou toute organisation professionnelle privée ou publique, représente un cadre qui exige une structure dans les rapports individuels, il revient alors au manager de représenter cette structure, par l’exemple et par l’organisation des ressources. L’objectivité de sa relation au collaborateur lui permet notamment de structurer son environnement. Est-il cependant de son ressort d’apprendre les règles de savoir-vivre, base essentielle du savoir-être en milieu professionnel ?

Il semble important, pour illustrer la réciprocité de l’objectivité, que le collaborateur occupe également un rôle actif dans la relation avec son manager. Ce dernier ne peut incarner l’autorité unique, idéalisée, porteuse de toutes les valeurs, agissant en protecteur et soucieux en toutes circonstances du bien-être de son équipe.

Il est important que le collaborateur se responsabilise dans cette relation, qu’il s’adapte aux limites de son manager et qu’il s’appuie sur les atouts de ce dernier, en acceptant qu’il ne corresponde pas au profil idéalisé du manager transmis de manière théorique, ou par association à l’idéalisation de toute figure d’autorité.

C’est ce que l’on pourrait nommer « manager son Manager » : comprendre son mode de fonctionnement pour s’y adapter et lui apporter les éléments dont il a besoin, pour, en retour, recevoir ce que le collaborateur en attend : l’autonomie, la confiance, la communication…

Manager n’est donc plus un statut, mais un acte à la portée de chacun. C’est davantage « manager la relation », tant que le manager occupe bien évidemment une partie essentielle de son rôle de responsable : animer, fédérer, prendre des décisions… le minimum…

L’évaluation comportementale est la première étape pour considérer la capacité de l’individu à évoluer dans le groupe. C’est aussi au manager de prendre en compte cette aptitude du futur collaborateur : pour l’esprit d’équipe, l’intégration à long terme, l’évolution de l’individu. C’est dépasser la maîtrise du savoir, qui peut évoluer avec la formation et reste du domaine professionnel. Alors que le savoir-vivre évolue avec l’éducation, dans le domaine privé.

Le manager crée un entraînement dans la diffusion de cette culture, tant dans son management que dans ses choix d’intégration de collaborateurs. La maîtrise du savoir rassure à court terme, mais n’est pas un gage suffisant d’intégration à moyen/long terme.

L’évaluation par le manager est un acte de management, selon des considérations objectives et partagées par l’ensemble des évaluateurs. L’objectivité du manager et de l’évaluation qu’il pratique permet à la fois d’établir et de garantir une structure au développement des collaborateurs et à l’entreprise elle-même, en lien avec la réalité des marchés internes et externes.

Il démontre en fait que l’acte d’évaluation, si tant est qu’il y soit formé et sensibilisé, le légitime dans sa pratique managériale et sa prise de responsabilité.

Cette objectivité d’évaluation par le manager le fait participer de manière active au développement des ressources humaines, qui s’exprime au mieux lorsque le collaborateur et l’entreprise répondent mutuellement au besoin de l’autre.

La subjectivité d’évaluation diminue en effet cette cohérence, et par voie de conséquence, l’efficacité des démarches de développement de la ressource humaine.

Si l’objectivité est une structure, le manager en pose les contours dans son rôle d’organisateur et de développement de l’équipe, et de chacun de ses membres. Il s’inscrit à la fois comme relais de la stratégie et de la culture de l’entreprise, et comme initiateur de sa propre culture managériale. Il pose de fait des limites à ce qu’il considère comme acceptable pour et par chacun, dont lui-même.

C’est le cadre qu’il pose pour la mise en œuvre des capacités de chacun, leur développement et leur dépassement, pour créer de la valeur collective.

Cette limite se révèle un facteur de structuration et de développement objectif de la performance : évaluer pour dépasser.